Le mois de janvier revient avec ses petites traditions : galette des rois, vœux et … analyse et bilan de la loi de finances. En matière de financement de la recherche et de l’innovation, quelques nouveautés sont à noter en ce qui concerne les dispositifs de Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et Crédit d’Impôt Innovation (CII) : s’il n’y a pas de bouleversement à court terme, un léger frétillement se fait ressentir pour le futur. Sommes-nous à l’aube d’un réel changement pour les dispositifs phares du soutien financier à l’innovation en France ? Décryptage.
Des premiers ajustements à compter de 2020
En ce qui concerne le CIR, un maître mot est entendu depuis de très nombreuses années : sanctuarisation. On ne touche pas à un dispositif qui fonctionne. Pourtant, pour la première fois, ce dispositif est raboté, certes de manière très marginale, avec la diminution des frais de fonctionnement pour les dépenses engagées à compter de 2020 : le taux appliqué aux dépenses de personnel passe en effet de 50% à 43%, afin d’être plus en phase avec les frais généraux et administratifs rencontrés généralement par les entreprises dans les projets de R&D. Ce taux sera également applicable au calcul des frais de fonctionnement du CII.
Pas de cataclysme donc, mais tout de même une baisse, à assiette identique, de presque 5% du montant du CIR 2020 pour les entreprises ne déclarant que des dépenses de personnel (hors Jeunes Docteurs) par rapport au CIR 2019.
Une autre modification est à noter à compter de 2020 en ce qui concerne la R&D externalisée (sous-traitance). Pour rappel, un contribuable peut prendre en compte dans son assiette de CIR le montant d’une prestation sous-traitée (i) à une société privée qui a préalablement demandé au ministère de la recherche un agrément spécifique, ou (ii) à un organisme public de recherche (le montant pris en compte est même doublé dans ce cas). La contrepartie pour les sociétés privées agrées est qu’elles doivent déduire de leur propre calcul de CIR le montant perçu au titre de la prestation afin d’éviter toute double comptabilisation chez le donneur d’ordre et chez le prestataire. Il était cependant fréquent que les prestataires sous-traitent une partie des travaux à d’autres prestataires qui pouvaient ne pas être agréés, ce qui rendait complexe l’analyse des flux et augmentait le risque de double prise en compte au CIR des mêmes dépenses. Afin d’éviter cette situation, il est désormais formellement interdit de prendre en compte dans son assiette de CIR le montant d’une prestation sous-traitée à une société agréée ou un organisme public, si ceux-ci ont eux-mêmes sous-traités tout ou partie des travaux à des prestataires non agréés. Les dépenses externalisées seront désormais cantonnées à celles réalisées directement par les organismes auxquels elles ont été confiées.
Enfin, le législateur a modifié les obligations déclaratives complémentaires qui dont demandées aux contribuables en fonction des montants qu’ils déclarent. Cela fait deux ans que les seuils de dépenses bougent, espérons qu’on ait un peu de stabilité en la matière désormais :
Au-delà de 100M€ de dépenses valorisées : « état décrivant la nature des travaux de recherche en cours, l'état d'avancement des programmes, les moyens matériels et humains, directs ou indirects, qui y sont consacrés, la part de titulaires d'un doctorat financés par ces dépenses ou recrutés sur leur base, le nombre d'équivalents temps plein correspondants et leur rémunération moyenne, ainsi que la localisation de ces moyens »
Entre 10 et 100M€ : uniquement « un état précisant la part de titulaires d'un doctorat financés par ces dépenses ou recrutés sur leur base, le nombre d'équivalents temps plein correspondant et leur rémunération moyenne ».
Au-delà de ces ajustements techniques et de ce léger rabot, le législateur a « commandé » différents rapports qui annoncent que de nombreux sujets seront mis sur la table lors des prochaines lois de finances.
Vers une modification profonde du CIR à venir ?
Les discussions sont souvent âpres dans les deux chambres parlementaires lorsqu’il s’agit du CIR. Si la stabilité est de mise, divers groupes parlementaires souhaitent des modifications profondes (quand ce n’est pas carrément la suppression) d’un dispositif qu’ils jugent trop généreux, opportuniste et/ou inefficace.
Si les amendements qui n’étaient pas soutenus par le gouvernement n’ont pas été adoptés, une légère concession a été faite cette année : l’obligation faite au gouvernement de publier dans les deux ans à venir deux rapports concernant des sujets qui reviennent régulièrement dans les débats.
Si les amendements qui n’étaient pas soutenus par le gouvernement n’ont pas été adoptés, une légère concession a été faite cette année : l’obligation faite au gouvernement de publier dans les deux ans à venir deux rapports concernant des sujets qui reviennent régulièrement dans les débats.
Tout d’abord, à paraitre avant la prochaine loi de finances (30/09/2020) un rapport se concentrant sur les aspects suivants :
L’application au niveau du groupe fiscalement intégré du seuil de 100 millions d’euros de dépenses au-delà duquel le taux du CIR est ramené à 5 %. Objet de plusieurs amendements ces dernières années, cette application restrictive pour les grands groupes n’a jamais été adoptée.
Les abus constatés dans le cadre de vérifications en matière de dépenses de personnel. Si l'on en croit le rapporteur ayant défendu l’amendement, on parle notamment d’abus pour des personnes en préretraite.
La mise en œuvre globale du dispositif de sous-traitance (côté prestataire et côté donneur d'ordre) avec la mesure de différentes métriques. La sous-traitance est un des facteurs de complexité du CIR, notamment en ce qui concerne le calcul du CIR propre aux prestataires agréés. La dernière modification réalisée a été faite au niveau doctrinal, sur la base de décisions rendues par la justice. Le législateur va-t-il enfin se saisir d’un problème complexe ?
Enfin, un autre rapport doit être publié avant le 30/09/2021, qui se concentrera lui sur les points suivants :
Évaluation de l’impact du taux de 200% utilisé pour le calcul des frais de fonctionnement des jeunes docteurs ainsi que du forfait de dépenses de fonctionnement prévu dans le cadre du crédit d’impôt collection. Dans ces deux cas, en fonction des résultats, il est d’ores et déjà envisagé une diminution du taux appliqué.
Les évolutions susceptibles d'être apportées au champ des dépenses retenues dans l’assiette du CIR/CII de dépenses qui ne relèvent pas directement de tâches de R&D au sens du Manuel de Frascati : dépenses de Propriété Industrielle, veille technologique et dépenses de normalisation. Il en est de même pour les frais de dépôt et défense des dessins et modèles dans le cadre du crédit d’impôt nouvelles collections. Deux pistes sont avancées pour ces postes de dépenses : leur cantonnement à certaines catégories d'entreprises ou leur prise en compte pour la moitié de leur montant effectif.
Le CIR fait régulièrement l’objet d’études sur son impact. C’est cependant la première fois que le législateur inscrit dans la loi le recours à des études sur des points précis. Est-ce pour préparer le terrain avant un grand changement, ou est-ce une manière de temporiser sur un dispositif sensible, très apprécié des entreprises ? Cela est difficile à dire, mais il semble bien que l’étau se resserre et qu’il va devenir de plus en plus compliqué politiquement de conserver un dispositif aussi coûteux pour l’état (6,5 milliards d’euros), largement contesté (à tort ou à raison), et sans réelle contrepartie sociale, le CIR n’empêchant pas par exemple les fermetures de sites ou les diminutions de postes. A noter, en ce qui concerne ce dernier point, qu’un amendement obligeant les contribuables supprimant des postes ou fermant des sites à rembourser la moitié du CIR avait été adopté en première lecture au Sénat, avant qu’il ne soit rejeté en nouvelle lecture à l’assemblé nationale. On a donc pas fini d’entendre parler du CIR, et l’actualité sera particulièrement à suivre cette année sur ce sujet.
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