Tout entrepreneur le sait, la finance est une fonction clé de l’entreprise. Et son rôle ne se limite pas à gérer la relation avec le comptable ou encore faire des prévisionnels : on attend en effet de cette fonction de trouver des relais de croissance et de financement, de prendre des décisions réfléchies en cohérence avec la stratégie de l’entreprise ou bien de donner au business les clés de la croissance.
Une gestion internalisée de cette fonction est évidemment l’idéal, et c’est évidemment un must have pour les entreprises qui commencent à générer des revenus substantiels. Par manque de temps, de fonds ou par choix, certains entrepreneurs de startups délaissent cette fonction, ou repoussent les investissements nécessaires. C’est pourtant au plus tôt qu’il faut réfléchir et poser le modèle financier car lui seul peut donner la vision future de la stratégie:
En premier lieu, à l’évidence, il permet de poser financièrement les jalons de croissance de l’entreprise. En fonction de divers facteurs et hypothèses de croissance (marché, innovation, secteur, etc.) l’entrepreneur peut construire son prévisionnel de chiffre d’affaires. Le modèle permettra ensuite de valider d’une part la capacité d'investissement de l’entreprise, et donc d’affiner éventuellement les objectifs de vente, et d’autre part la profitabilité future de l’entreprise, et notamment de déterminer le point d’équilibre financier (seuil de rentabilité, point mort).
Une alternative à la méthode ci-dessus consiste à modéliser le plan financier à partir des besoins au lieu du chiffre d’affaires potentiel. C’est notamment le cas des modèles Saas. Il s’agit de lister les éléments clés nécessaires au développement du produit (développeurs, marketing, coûts web,...) en premier. C’est cette étape qui donne la vision sur les objectifs de chiffre d’affaires et de levée de fonds ou financements publics éventuels.
Enfin le modèle financier permettra aussi de planifier les flux de trésorerie entrants et sortants. Très peu d'entrepreneurs réalisent aujourd’hui une telle planification des flux (surtout dans les pays anglo-saxons), alors que c’est pourtant le plus important des KPI pour une startup ! A partir de l’état actuel du cash sur le compte bancaire, il permettra de savoir combien de temps il reste à l’entreprise avant de faire faillite.
Les startups et créateurs d’entreprise sont encore très nombreux à attaquer un marché sans plan financier établi et clair. Ils n’ont dans l’ensemble pas véritablement connaissance de combien ils vont perdre ou gagner pour les plus chanceux qui réussissent sans plan financier. Le fait est que seuls ceux qui mettent en place les bons procédés dès le début peuvent véritablement faire la différence, et cela passe par la transposition de la stratégie en chiffre, le suivi des coûts et surtout la validation d’un modèle financièrement profitable.
Ensuite, il faut garder à l'esprit qu'un budget nécessite un suivi régulier : il convient de faire attention à ne pas tomber dans le piège du budget annuel qu’on ne regarde plus pendant 12 mois, pour ne constater les pertes qu'en fin d'année. Le budget, même s’il fait partie de l’exercice de modélisation financière du business, est en lui seul totalement inutile. D’ailleurs c’est bien ce qui fait la différence entre les entreprises qui avancent avec un budget de début d’année et celles qui réécrivent leurs budgets et revoient leurs hypothèses de croissance tous les mois ou tous les trimestres selon le besoin. C’est d’autant plus vrai que le lancement d’un nouveau produit ou service, parfois sur un marché lui aussi nouveau, dans un contexte économique incertain, ne va généralement pas se dérouler comme prévu dans la v1 du budget. Il s’agit d’accompagner le business, d’avancer en itération et de proposer chaque fois que cela est possible une version mise à jour et adaptée à la situation réelle de l’entreprise.
Nous nous proposons dans la suite de faire un tour d’horizon des principaux éléments qui doivent être inclus dans un modèle financier.
Comment fait-on ? Comment ça marche ?
Disons-le d'emblée, des milliers de modèles financiers existent. Tous ont leurs avantages et leurs inconvénients. Nous nous focaliserons dans la suite de cet article sur le modèle que nous estimons être le plus adapté aux startups, aux entreprises en croissance et aux entreprises qui traversent des périodes incertaines. Toutes ces sociétés devraient mettre en place ce modèle, soit en modèle unique, soit en parallèle de leur modèle existant pour les entreprises établies depuis longtemps.
Dans ce modèle, on place au centre la capacité de mise à jour des données et informations pour pouvoir justement agir et faire évoluer les prévisions aussi souvent que nécessaire.
Il est décomposé en 5 sections, qui sont autant d’onglets d’un tableur, comme on peut le voir sur la figure ci-dessous.
Nous détaillerons par la suite chacun de ces onglets.
Revenue
En synthèse, quasiment tout se joue dans les onglets de Revenue et de COGS (“Costs of goods sold”, ou bien les coûts direct servant à la vente du produit ou du service). Ils concentrent les variables les plus importantes. Cette dichotomie rend par ailleurs beaucoup plus facile le suivi et l’update de ce modèle.
Pour ceux qui viennent juste de créer leur entreprise et qui n’ont pas encore de clients, nous concentrons dans l’onglet Revenue toutes les variables qui vont permettre de prédire la partie la plus importante: le chiffre d’affaires. Il est important de construire un modèle avec des hypothèses qui vous correspondent. Par exemple, un Saas n’aura pas le même modèle de revenu qu’une marque qui vend des articles de mode sur internet.
En tout état de cause, il faut le mensualiser et créer les hypothèses variables les plus adaptées. Ci-dessous, un modèle simple, sans hypothèse.
La seconde étape, pour les entreprises qui ont déjà des clients, est de fonctionner avec le réel du carnet de commande HT plutôt qu’un budget. Le budget ne donne en aucun cas une vision à jour du business, seul le carnet des commandes fermes additionnées des opportunités en lien avec le travail du département commercial peuvent donner véritablement une vision correcte du volume d’affaires. En plus, cet onglet pourra très facilement être l’onglet de suivi de commande, de CRM et de paiement (dans le cas où l’entreprise n’aurait pas encore les moyens de payer des outils de gestion internes). Chaque commande ferme doit alors être entrée dans le tableur avec le montant, les références du contact, les dates de facturation, la méthode, etc.
Nous vous présentons ci-dessous un exemple extrait d’un tableau de commande pour un Saas. Pour les entreprises qui ont déjà un outil CRM de suivi de commande, il sera donc encore plus simple à updater car vous pourrez créer une zone de copier-coller pour le mettre à jour à partir de données extraites de votre CRM.
COGS / coûts directs et coûts opérationnels
Les coûts se présentent sous différentes formes. Ces distinctions nous obligent à les traiter différemment en comptabilité et nous permettent surtout de ventiler en grandes catégories pour construire les axes principaux du budget:
la partie RH (coûts des employés et freelance),
la partie OPEX (“operational expenditures”, ou bien coûts opérationnels et supports à l’activité),
CAPEX (“capital expenditure”, ou bien tous les investissements tangibles et intangibles nécessaires pour que l’activité fonctionne),
Pour la partie RH: le brut, les dates d’entrée et de sortie des employés, leur taux de charges sociales patronales suivant le pays, les bonus et perks à ajouter éventuellement.
Pour la partie coûts OPEX: les dates de début d’utilisation et souscription ainsi que les montants annuels.
Pour la partie CAPEX et donc amortissement: les dates d’entrée en service ou de début d’immobilisation, et le nombre d'années sur lesquelles amortir un bien.
Cash
Cet onglet va devenir le plus important quel que soit le secteur d’activité ou le business model de l’entreprise. Le seul et unique moyen de faire de la croissance, de faire avancer une entreprise ou même de rester pérenne dans un contexte de secteur et d’activité matures, c’est le cash.
Cette partie sert concrètement à piloter 3 choses:
Savoir combien de temps il reste à l’entreprise avant de faire faillite si elle n’est pas refinancée. C’est le Runway.
Savoir combien de financement l’entreprise a besoin, soit pour des raisons de croissance, soit pour des raisons de faillite.
Organiser les entrées et les sorties d’argent mensuelles dans un double objectif de prévision et de d’analyse du passé.
A partir des données des onglets revenus et coûts, il devient simple de construire un prévisionnel d’entrée et de sortie en prenant bien en compte le taux de TVA à ajouter aux paiements et revenus indiqués HT dans les onglets susmentionnés.
Ainsi, à partir des données de budget, qu’on peut augmenter du taux de TVA pour les achats en France, il s’agit de déterminer leur impact financier réel dans le temps. Suivant les fournisseurs et les types de coûts, l’on paiera avec plus ou moins de délai: en fin de mois pour les freelances et les salaires, avec un mois de décalage ou 2 mois de décalage pour certains fournisseurs en fonction des délais de paiements indiqués sur les factures, etc. Par ailleurs, il ne faut bien entendu pas inclure tout ce qui n’est pas à impact cash comme les amortissements; ces derniers représentent un investissement CAPEX en début de période, il faut donc les reporter dans une ligne CAPEX pour la totalité de l’achat augmenté du taux de TVA.
Enfin, il s’agira de renseigner les paiements non liés à l’activité directement, comme c’est le cas d’un prêt bancaire qui n’a pas d’impact sur la performance, ou encore de la TVA. Ainsi la TVA en fonction de la cadence de paiement sera à renseigner à l’aide d’un calcul simple avec le taux de TVA à imputation aux dates convenues, en fonction des règles de paiement et de déclaration auxquelles l’entreprise est soumise.
Prévisions
Cet onglet va permettre de construire un budget en début de période en prenant tous les coûts engagés sur l’entreprise et tous les contrats de vente signés. Il ne restera pas figé et sera remis à jour autant de fois que nécessaire tout au long de la vie de l’entreprise. Dès le premier mois le budget se transforme en rolling forecast c'est-à-dire qu’il est mis à jour tous les mois en fin de période.
Il y a 3 grands avantages à construire un onglet Prévisions :
Il permet de construire un budget au début et de valider le business model de l’entreprise.
Il permet d’avoir une base sur laquelle on peut communiquer aux banques et aux investisseurs sur une période de temps suffisamment longue (2/3 ans par exemple).
Il permet de valider en temps réel les budgets mensuels.
Cockpit
C’est selon nous l’onglet le plus important. On s’efforce dans le cockpit de faire apparaître des KPI propres à l’activité, qui peuvent être financiers ou non.
Par ailleurs, sont concentrées ici les informations les plus importantes issues des autres onglets dont nous venons de parler. Ainsi cet onglet fera apparaître un graphique de cash flow et de runway ainsi que le budget mensualisé.
C’est enfin dans cet onglet que nous viendrons mettre à jour le budget mensualisé directement avec les dépenses et ventes réelles de l’entreprise, et cela tous les mois. C’est la clef de voûte du suivi financier. Le cockpit apporte une vision totalement transparente des performances financières de l’entreprise:
Il donne au dirigeant une vision mise à jour en temps réel sur les performances futures. Ainsi il dispose des moyens de prédire l'atterrissage en résultat et chiffre d’affaires de l’entreprise.
Il donne une vision claire sur le seuil de rentabilité de l’activité, passé et futur.
Il permet de communiquer et de construire un reporting à jour et suivi pour les banques, les investisseurs et actionnaires, les parties prenantes de l’entreprise.
Il est donc primordial de bien exécuter cette partie budgétaire et prévisionnelle comme nous venons de le voir. Aucune startup ne peut faire l’impasse sur cet exercice, qui doit être répété aussi souvent que possible au fil des évolutions du marché, des externalités économiques, du produit en lui-même, et de la stratégie de l’entreprise.
C’est le premier outil qui permet de rassurer les investisseurs, l’unique outil qui permet de piloter réellement son entreprise, et qui sera essentiel pour lever des fonds, demander un prêt ou encore convaincre un investisseur public tel que bpifrance (Banque Publique d’Investissement).
Malgré toutes ces explications, cet exercice reste difficile à réaliser de manière constante tout en gardant de la perspective par rapport à l'activité. Une aide, comme un DAF / RAF à temps partagé (directeur / responsable administratif et financier) peut s’avérer réellement utile voire nécessaire. Ce DAF / RAF sera responsable de ce reporting, ainsi que de toute la partie administrative, facturation, recrutement, RH, office management, etc. Il deviendra le premier partenaire business du CEO. Cette triple casquette (CFO, COO, et office manager) permettra au(x) fondateur(s) d'économiser la ressource la plus importante: le temps.
Comments